mardi 21 juillet 2015

Dans la peau d’un coureur

Crédit : CC Guy Mayer
[PEDAGOGIE] Je m'épile, je porte des fringues moulantes, je sais pisser en faisant autre chose, je bois huit litres de flotte par jour et je pense aux petites culottes de mes fans. Je suis un cycliste.

Je ne vous parlerai donc pas de la domination outrageuse du sprint allemand avec la 3e victoire sur ce Tour d’André Greipel dimanche à Valence avec dans sa roue son compatriote John Degenkolb.

Je ne vous parlerai pas davantage de Ruben Plaza, vainqueur hier à Gap après une attaque en costaud dans le Col de Manse. Là, c’est surtout parce que l’odeur autour de cet Espagnol n’est pas des plus saines. Son nom a circulé dans l’opération Puerto mais la justice espagnole l’a blanchi de manière, étrange dirons-nous.

Bref, la vie du peloton impose certaines contraintes. Revenons-y.


Les gars on s'arrête ? Faut que j’aille au petit coin !



Excellente question. Quand on reste cinq-six heures sur un vélo, que des dizaines de caméras filment sur les motos et dans les hélicoptères, qu’il y a des milliers de gens sur le bord des routes, satisfaire ce besoin naturel n’a rien d’évident.

Là, il faut distinguer le peloton des échappés. Dans le peloton, c’est en général le maillot jaune qui dicte le tempo. Le leader choisit un lieu assez isolé pour s’arrêter. Toute son équipe s’arrête avec lui. A ce moment-là, une trêve tacite est déclarée : tous ceux qui ont besoin peuvent faire pipi peinard sur le bord de la route. Néanmoins, certaines « trahisons » ont marqué l’histoire du Tour.

Les coureurs s'arrêtent de part et d'autre durant la 4e étape - Crédit : Eurosport
« Souvent, on le fait quand ça ne roule pas vite », raconte Romain Feillu, maillot jaune d’un jour sur le Tour 2008, à L’Express. « Dans les descentes, c'est mieux, il n'y a pas beaucoup de spectateurs, ajoute son compatriote Jonathan Hivert. Mais pas dans les villages, c'est interdit. Je me suis déjà pris une amende pour ça. »

200 francs suisses, soit 192 euros si les commissaires vous prennent en train d’uriner devant le public. Pour un professionnel, ça va. Mais pour les coureurs de moindre niveau, ça revient cher. Les coureurs essaient donc de s’isoler. Les forêts sont des espaces idéaux pour cela. Il y a moins de gens.

Pour les échappés en revanche, il n’est pas question de perdre de temps. Quand vous luttez à cinq-six coureurs contre les 180 restants, il est hors de question de s’arrêter. Les coureurs urinent donc en roulant. Exercice périlleux, surtout par vent de face. « Seuls les plus acrobates en sont capables », s’amuse Nicolas Vogondy, ancien champion de France, toujours devant nos confrères de L’Express (article à lire si vous voulez en savoir plus).


« Pas très classe des mecs en cuissard avec plein de poils »


Absolument Raphaël. Ce petit article du Figaro est très utile. Les raisons sont triples. La première est esthétique. Les coureurs comme Giovanni Bernaudeau, team Europcar, le disent : « Ce ne serait pas très classe des mecs en cuissard avec plein de poils. »

Il y a ensuite une raison médicale. Comme lorsque le pauvre Jean-Christophe Péraud est tombé sur la route de Rodez, il s’avère qu’il est plus aisé pour les médecins de soigner les membres du corps meurtris par une chute s’ils sont épilés. De plus, la pilosité renforcerait le risque d’infection en cas de plaie.

Vient enfin la question du cuissard. Raser permet en partie d’éviter les frottements mais aussi de particulièrement bien coller à la peau.


"Ma chérie, toi tu es un cycliste, tu dois t'habiller moulant"







Je me permets cette jonction avec la question de Teresa : c’est effectivement une question d’aérodynamisme. On a longtemps ignoré si, comme chez les nageurs, la pilosité était un frein à la vitesse. En 2014, une entreprise de composants de bicyclettes, Specialized, a réalisé une étude en soufflerie.

Résultat, un coureur roulant à 40 km/h pendant une heure sur route plate perdrait 15 watts de puissance. Ce qui est énorme puisque 40 km/h, c’est une moyenne basse pour un professionnel. Hier sur la route de Gap, les coureurs ont dépassé les 50 km/h durant la première heure. En revanche, le résultat devient nul lorsqu’on est en altitude où la vitesse ne dépasse pas, durant une attaque, les 30 km/h. 
Tony Martin, triple champion du monde du contre la montre - Crédit : CC Soren Storm Hansen

Pour les vêtements, l’usage du cuissard a une importance aérodynamique certaine. C’est un des rares héritages positifs de Lance Armstrong. C’est l’Américain qui a lancé la révolution du matériel avec Trek et du textile avec Nike. Fred Grappe, directeur sportif FDJ, explique ainsi en 2012 sur l’excellent site cyclismactu.net : « On sait aujourd’hui qu’en possédant un matériel et des vêtements optimisés, il est possible de gagner plusieurs secondes au kilomètre en contre-la-montre. »


3 300 bidons utilisés sur la 13e étape vers Rodez









Ah les bidons ! Durant la 13e étape en direction de Rodez, la température du bitume a quasiment atteint le record de l’histoire du Tour : 60,9° C (ndlr : le record étant de 63° C, mesuré aux Rousses, en 2010). Dans l’air, il faisait 39° C.

Le lendemain, le journal L’Equipe fait le calcul : 3 300 bidons environ ont été consommés par le peloton en 198.5 km entre Muret et Rodez. Soit un bidon d’un demi-litre par coureur par quart d’heure de course !

Or les bidons sont jetés quand ils sont vides. Alors ? Alors, il y a une consigne : il faut jeter les bidons là où il y a du public au bord de la route. Les badauds venus acclamer les cyclistes sont généralement tout heureux d’obtenir un souvenir gratuit et personnalisé (bah oui, c’est le bidon de Thomas Voeckler tout de même !).

Arnaud Démare s'asperge au matin de la 13e étape Muret-Rodez - Crédit : Nicolas Götz
Problème, pour éviter que le bidon revienne sur la chaussée et ne devienne aussi dangereux pour les coureurs qu’une peau de banane, les cyclistes l’envoient souvent avec force. Une petite fille de 6 ans a ainsi reçu un bidon en pleine figure sur la route d’Amiens lors de la 5e étape et a dû être examinée à l’hôpital.


A quoi je pense ?








Le paysage, je ne sais pas. Mais c’est certain que l’environnement dans lequel se trouvent les coureurs peut donner une dimension épique à la performance. Le Ventoux et son aspect désertique impressionnent énormément. Pour celui qui triomphe au sommet, le paysage lunaire du « Mont chauve » donne des frissons.

Pour tes deux autres questions, oui ça leur arrive de s'emmerder sec. Mais voici la réponse (que j’adore) de Jimmy Casper, retraité, dans Pédale : « Ça passait du coq à l’âne, on pouvait parler d’une petite culotte que l’on venait de voir en passant sur le bord de la route comme de la bosse qui allait arriver derrière. »

Cette phrase est magique.

Je conclus avec ce petit tweet de Jérémy Roy, baroudeur de la FDJ, qui donne une des bases de réflexion des coureurs.


4 commentaires:

  1. Bonjour,
    j'ai lu vos justifications de l'épilation (aérodynamisme, blessures,...) mais une question me vient dans ce cas: pourquoi les coureurs ne se rasent-ils pas aussi les bras?

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    1. De ce que je vois au jour le jour, je n'ai pas vu beaucoup de coureurs velus des bras. En général, ils rasent tout pour éviter les frottements. Les boxeurs se rasent sous les bras en partie pour cette raison.

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  2. Pour le pipi, je ne pige toujours pas: Quand est-ce qu'on parle des attaquants ou des échappés qui se font dessus simplement? Richard, Virenque, n'avait-il pas fait cela? Je ne vois pas du tout la méthode pour sortir sa bite à fond de train ni son intérêt...

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    1. Il y a bien sûr des coureurs dont on sait qu'ils se sont ouvertment "lâchés" dans leur cuissard pour éviter de perdre du temps. Plus que cela, sous la pluie, certains coureurs urinent pour se réchauffer les pieds et avec la pluie, ils se retrouvent finalement "propres" en arrivant.

      Greg Lemond avait même dû opérer en urgence pour un gros besoin il y a une vingtaine d'années.

      Mais je vous avoue ne pas être rentré dans les détails car ce n'était pas le principe.

      Concernant la méthode, voici ce que j'ai pu trouver sur 20minutes.fr :
      ""Tout d’abord, se glisser au fond du peloton. «Sinon tu arroses les autres, explique Da Cruz. Ensuite, tu demandes à un équipier de te pousser en mettant la main sur ta selle.» Vient ensuite le moment délicat de passer à l’acte. Mais d’abord, il faut repérer le sens du vent. «Si le vent vient de gauche, tu te mets sur la droite de la route et vice-versa, poursuit Carlos Da Cruz. Il faut aussi se méfier des légers virages où tu peux te retrouver vent de face. Là, tout revient sur le short et le bidon et ce n’est pas agréable.»""

      Après, l'intérêt est expliqué ci-dessus : l'objectif est de ne pas perdre de temps. Spécialement pour les échappés. S'arrêter fait perdre minimum 1 minute... Quand on sait les efforts qu'il faut consentir pour prendre une minute au peloton...

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