Le Kenya en janvier 2014 - Crédit : CC Viktor Dobai |
[DOSSIER] Né au Kenya, le
vainqueur du Tour de France 2015 n’a pas été biberonné au lait des compétitions
européennes. Jeune homme, Chris Froome a fait ses armes en Afrique du sud. En
2007, au Centre mondial du cyclisme, on décèle « une grosse cylindrée ».
C’est au printemps qu’est né le nouveau César du Tour de
France. Le 20 mai 1985, Christopher Froome vient au monde dans la capitale du
Kenya, Nairobi, culminant à environ 1 700 mètres d’altitude. Son père est britannique
et si sa mère est africaine, elle est elle-même fille de Britanniques. Quinze
ans plus tard, en 2000, le petit Chris quitte le Kenya après le divorce de ses
parents pour suivre son père en Afrique du Sud.
C’est dans le pays de Mandela que ce Kenyan avec passeport
britannique – il ne courra pour l’Union Jack qu’en 2008 – délaisse son VTT
natal pour le vélo sur route. L’Afrique du Sud est malheureusement une nation
de sprinteurs trapus aux cuissots puissants. Tout ce que n’est pas Froome.
En Afrique du Sud, Froome était « un coureur ordinaire »
A l’époque, il est donc cantonné au rôle d’équipier et de
porte-bidons dans une équipe modeste, Super C. « Les premiers mois avec Super C, on n’avait rien, rappelle son
directeur sportif de l’époque, Gareth Edwards, interrogé pour L’Equipe par A. Roos, il n’y avait aucun grand plan pour Chris
Froome, il était un coureur ordinaire, il mettait son propre vélo, pas nettoyé
la plupart du temps, dans sa voiture, il recousait son cuissard lui-même, il
n’y avait rien de glamour. »
Pas tendre non plus ce climat sud-africain où il fait
parfois très froid pour un homme né sous les auspices équatoriaux du Kenya. Au
passage, la chaleur caniculaire qui écrasait les pentes de
la fameuse Pierre-Saint-Martin cette année représentait donc un avantage de
taille pour Chris Froome.
Jeune coureur, le Kenyan se distingue déjà par une capacité
exceptionnelle à souffrir. « Il
n’est pas rare de le voir s’évanouir à l’arrivée des courses ou que des membres
de son équipe doivent l’aider à ‘déclipser’ ses chaussures, relate Roos. ‘Parfois je tombais dans les pommes, je
me relevais, puis je m’écroulais à nouveau’,
se souvient Chris Froome. »
L’impasse que représente son morphotype, Froome va pourtant
parvenir à en sortir au contact de son premier entraîneur, le Sud-Africain Robbie
Nielsen. Ce dernier décide de le préparer pour les courses européennes. C’est à
ce moment-là qu’il se transforme : entraînements de 200 km pour être dans
les standards du vieux continent, nutrition, physiologie, etc.
« Une grosse cylindrée » qui « ne vient pas de nulle part »
Pour franchir un cap, Froome sait qu’il doit évoluer en
Europe. Tout se joue fin 2006. Le Kenyan décide d’utiliser en secret l’adresse
du président de la Fédération kenyane de cyclisme pour s’inscrire aux mondiaux
espoirs de Salzbourg. Mais à 21 ans, Froome va vivre l’un des épisodes les plus
humiliants de sa carrière sur le contre-la-montre.
A regarder à partir de la 11e seconde.
Le grand échassier n’a pas pris un virage qu’il rentre dans
un commissaire de course… Car s’il a beaucoup lu sur le vélo, Froome n’en
demeure pas moins particulièrement malhabile sur une selle. Logique pour un
homme qui ne compte que quatre ans de cyclisme sur route. Sa position n’est pas
aérodynamique et il possède quelques kilos en trop.
Malgré sa chute, Froome
termine 36e à seulement 98 secondes d’un certain Tony Martin…
futur triple champion du monde de la spécialité et 18e ce jour-là. Régulièrement en contact avec le jeune cycliste, Michel Thèze le fait venir au Centre mondial du cyclisme (CMC) – une institution dédiée à former les
jeunes talents venus de pays ne déployant que peu de moyens au cyclisme. Responsable du cyclisme sur route, Thèze témoignait chez nos confrères de La
Voix du Nord en 2012 :
« Il était déjà d’un bon niveau physiquement mais pas tactiquement. Il y avait beaucoup de travail à faire. Mais (…) sa marge de progression était énorme. J’ai eu beaucoup de coureurs, des bons et des moins bons. Les trois meilleurs que j’ai eus, ils sont tous pros aujourd’hui. C’est Chris Froome, ‘Rapha’ Chtioui (Europcar) et Daniel Tekelhaimanot (MTN-QHUBEKA).Froome avait un truc en plus. Une volonté énorme. Il savait où il voulait aller. (…) Il avait déjà des qualités naturelles. L’un des plus gros ‘moteurs’ que j’ai vus. (…) Il ne vient pas de nulle part. »
La roue semble enfin tourner. En parallèle, l’entraîneur sud-africain
de Froome, Robbie Nielsen, le présente à son compatriote John Robertson, directeur
sportif de l’équipe continentale Konica-Minolta (la 2e division
mondiale). Ce dernier finit par l’engager mais pour une raison improbable, rappelée à Rue89 :
« Il n’avait rien sur son CV. J’avais sept coureurs dans mon équipe pour la saison suivante et pour m’enregistrer auprès de l’UCI, il m’en fallait huit. Le huitième devait être un très bon coureur, David George. George m’a dit non un vendredi matin. Le soir-même, je devais donner une liste de de huit coureurs à l’UCI. Alors j’ai donné le nom de Chris Froome. Je n’avais pas le choix, il fallait que je donne un nom. C’est complètement fou. »
Voiture des Konica-Minolta en 2007 - Crédit : CC Jun |
Le monde du cyclisme est à deux doigts de passer à côté d’un
diamant brut : « Je pense qu’il
aurait arrêté, tranche John Robertson.
Car même quand je l’ai recruté, tout le monde m’a demandé ce que j’allais faire
de ce coureur qui n’avait aucun résultat et qui ne ressemblait à rien sur un
vélo. »
En 2007, Froome bat « les meilleurs espoirs mondiaux » en Italie
Pourtant, quelques semaines plus tard, Froome bat tous ses
coéquipiers dans une ascension violente… Finalement, il ne va passer que très peu de temps chez Konica. Dès le début de l'année 2007, il pose ses
valises à Aigle (Suisse) au Centre mondial du
cyclisme. En avril, il
remporte une étape du très réputé Tour des Régions italiennes, notamment devant
Bauke
Mollema (7e du Tour de France 2015), Rui Costa (futur champion
du monde) et un Français, très en vue durant le Tour.
« Après avoir chuté une ou deux fois lors des premières étapes, il s’était imposé lors de la troisième (ndlr : cinquième en réalité) devant le Breton Cyril Gautier qui disputait l’épreuve en équipe de France espoirs, se souvient Michel Thèze sur LeTelegramme.fr. Ce jour-là, Bernard Bourreau, l’entraîneur des Français m’avait demandé d’où sortait mon coureur ! Autant il était maladroit sur le vélo, autant il avait mis de l’autorité pour gagner devant les meilleurs espoirs mondiaux. »
Sur Rue89,
Michel Thèze dévoile un peu plus le résultat de ces fameux tests de puissance
réalisés au CMC. Froome, « c’était une
grosse cylindrée. (…) le seul à être arrivé au palier 14. La majorité des
coureurs s’arrête au dixième. Il avait un cœur très lent et une ‘Vo2 max
[consommation maximale d’oxygène, un paramètre déterminant en endurance] entre
80 et 85, sans être affuté. Comme il a perdu environ cinq kilos depuis, il doit
être au-dessus de 85 [les grands champions revendiquent une Vo2 Max entre 85 et
95 ndlr]. » Joint par Saut de Chaîne, Thèze ajoute même qu'il avait plaisanté à l'époque et affirmé que Froome « avait des tests à la Bernard Hinault ».
Un premier Tour de France marqué par le décès de sa mère
Entre temps, le « moteur » a été repéré par Claudio
Corti au Tour du Cap, en février, où Froome avait terminé 2e. Corti,
manager de du team Pro Tour Barloworld (l’élite mondiale, ancêtre du World
Tour), l’engage pour la saison 2008. Chris Froome réalise son rêve, passer professionnel. Mais le Kenyan découvre le plus haut niveau mondial sans briller : 84e sur la doyenne des
Classiques, Liège-Bastogne-Liège, et 83e du Tour de France.
Chris Froome en 2009 - Crédit : CC dvdbramhall |
Cinq ans avant sa première victoire sur la Grande Boucle,
Froome ne fait aucune étincelle pour sa première participation. Mais un drame a
touché le jeune homme de 23 ans : la perte de sa mère – dont il est
extrêmement proche –, emportée par un cancer. Appelé en urgence par son équipe
pour disputer le Tour, il s’y rend avec l’esprit meurtri.
L’année 2008 est aussi celle de son passage sous licence
britannique. Les moyens mis en place par les fédérations kenyane et
sud-africaine de cyclisme lui font sans doute redouter une stagnation. Né avec
un passeport britannique, il représente les couleurs de l’Union Jack à partir
de mai.
L’année 2009 est clairement marquée du sceau de la
progression : 34e de la Flèche Wallonne, 44e de
Liège-Bastogne-Liège, il réalise son premier Top 10 sur une épreuve Pro Tour lors
de la 14e étape du Tour d’Italie à Bologne et finit
32e
au classement général à Rome.
Pourtant, comme il le confiait à L’Equipe samedi dernier, Claudio Corti, le manager de Barloworld le laisse partir au bout de deux ans :
« Franchement, je
n’aurais pas pensé qu’il atteindrait ce niveau, comme on n’en a plus vu depuis
Armstrong, Ullrich, Pantani. J’essaie de comprendre. On a su très vite qui
était Hinault, et Gimondi a gagné le Tour dès sa première participation, tout
comme Merckx. Froome, lui a réalisé un Tour presque anonyme en 2008. »
« Je peux comprendre Claudio Corti, moi-même je m'interrogeais, abonde Michel Thèze, son entraîneur au CMC. Compte tenu des lacunes techniques qu'il avait, je suis surpris. Mais moi, comme formateur, je voyais le décalage entre son potentiel et sa technique. Si on arrivait à maîtriser ce potentiel, je savais qu'il pouvait le faire. Quand il est passé pro, sur le plan technique, il n'avait rien. Mais c'est un garçon qui avait une très grosse volonté à l'entraînement. Il était très sérieux, il avait envie d'y arriver. Je pense d'ailleurs que s'il n'avait pas eu cette volonté-là, jamais il n'aurait pu combler ce handicap technique. »
« Je peux comprendre Claudio Corti, moi-même je m'interrogeais, abonde Michel Thèze, son entraîneur au CMC. Compte tenu des lacunes techniques qu'il avait, je suis surpris. Mais moi, comme formateur, je voyais le décalage entre son potentiel et sa technique. Si on arrivait à maîtriser ce potentiel, je savais qu'il pouvait le faire. Quand il est passé pro, sur le plan technique, il n'avait rien. Mais c'est un garçon qui avait une très grosse volonté à l'entraînement. Il était très sérieux, il avait envie d'y arriver. Je pense d'ailleurs que s'il n'avait pas eu cette volonté-là, jamais il n'aurait pu combler ce handicap technique. »
Deux ans plus tard, en 2011, il brille au Tour d'Espagne. De l'ombre à la lumière.
- La 3e partie : « L'invraisemblable saga de la Bilharziose. »
- La 4e partie : « L'Avènement du 'dopage lissé' »
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