mardi 14 juillet 2015

Froome, le tyran du Tour

Chris Froome, vainqueur de sa 4e étape sur le Tour de France - Crédit : Team Sky
[ANALYSE] Assommé. Ecrasé. Piétiné. Les qualificatifs manquent pour définir le sort réservé par Chris Froome au Tour de France lors de la 10e étape, la première de haute montagne de cette Grande Boucle 2015. Le Britannique m’a impressionné. Mais que d’erreurs commises par le team Movistar de Quintana.

Bouche bée. Nous l’étions tous. Nairo Quintana le premier lorsqu’il en finissait avec une étape cauchemar au sommet de La Pierre-Saint-Martin. Dans les derniers hectomètres, la bouche grande ouverte, le Colombien de la Movistar ne pouvait que constater les dégâts avant d’être repris et dépassé par l’âme damnée de Froome, Richie Porte. Rideaux. Journée de merde.

« Froome était trois tons au-dessus des autres », soupirait Alberto Contador après une étape catastrophique pour lui (6e au général, à +04’04’’). « Sa force et sa supériorité ont été incontestables », ajoutait un Nairo Quintana à bout de souffle (3e au général à +03’09’’).

Froome, "trois tons au-dessus des autres"


Evidemment, la méfiance entoure déjà l’incroyable performance du Kenyan blanc. Heureusement. Le doute est un signe de bonne santé en matière sportive. Même s’il est à géométrie variable comme le disait très bien Le Gruppetto sur Twitter…



Cependant, il faut bien le dire, c’est un record que vient de claquer Froome dans l’ascension de la Pierre-Saint-Martin : 22.58 km/h sur les 15.3 km que compte le col à une moyenne de 7.4%.




La suspicion a grandi avec la publication des chiffres de la performance de Froome en 2013 lors de l’ascension du Ventoux et de sa célèbre attaque « assis ». J’attends que quelqu’un de fiable analyse ces chiffres avant d’en parler si tant est que ces chiffres le soient. Pour la petite histoire, il ne faut pas oublier que lors de cette offensive restée dans les mémoires, Froome n’avait pris, au sommet, que 29 petites secondes à Quintana. Si si. La preuve est ici. Il y a eu plus « surprenant ».

En regardant les images, je me suis dit une chose très simple : si Froome prend plus de 90 secondes à Quintana, je commencerai très sérieusement à douter de sa performance. S’il prend autour de la minute, je trouverai simplement l’attaque monstrueuse mais pas irréalisable pour l’un des plus grands grimpeurs de tous les temps.

Nairo Quintana termine bouche ouverte avec Richie Porte dans la roue - Crédit : France TV


Quintana, pas dans la forme de sa vie


Au final, Quintana finit à 1’04’’ de Froome. Ce qui est imposant puisque le Colombien est considéré comme l’un des meilleurs au monde en montagne. Je me suis donc demandé dans quel état de forme se trouvait Quintana : « Ma performance et mes sensations ont été bonnes mais pas excellentes », a précisé le leader des Movistar.

Donc pas une forme absolue. Le contraire de Froome en somme. Quelques chiffres confirment tout de même de manière assez éclatante la performance assez moyenne de Quintana : Robert Gesink, qui est un grand coureur mais pas une légende, ne finit qu’à 1’33’’ de Froome. Tony Gallopin, pas pur grimpeur devant l’éternel, loin de là, est à 2’22’’.

Movistar a durci trop tôt


Oui mais Froome a quand même gagné et bien gagné me direz-vous ! J’ai donc remonté le fil de l’ascension et, en attendant l’analyse des chiffres, j’ai surtout constaté un double-échec tactique des Movistar.

D’abord, l’équipe espagnole a roulé à un énorme rythme durant les cinq premiers kilomètres de l’ascension où la moyenne est à 9.94%. « On voulait tester les rivaux, voir où chacun en était », confessait Quintana après la course. En somme, le leader colombien a choisi de durcir la course d’entrée pour tenter d’éliminer les équipiers des différents autres cadors.

Vincenzo Nibali (dossard 1) est lâché à 10.4 km de l'arrivée - Crédit : France TV

Le bilan fut excellent puisque non seulement des équipiers ont craqué mais des leaders également : Rui Costa, Kelderman, Talansky, Dan Martin, Uran, les Français Bardet, Pinot et Péraud ainsi que le tenant du titre, Vincenzo Nibali (méconnaissable depuis sa chute au Havre) ! Rien que ça.

Problème, le team Sky est encore là et en nombre. Poels, Thomas et Porte protègent Chris Froome. A l'inverse, la Movistar, moins homogène, se retrouve à trois coureurs après l'opération (Izagirre, Valverde, Quintana). Pendant 3.5 km, les Sky vont alors à leur tour imprimer un gros rythme et finir d’essorer le groupe de tête : Rodriguez et Barguil explosent. La Movistar perd elle l’incroyable Izagirre et se retrouve à deux : Valverde et Quintana.

Valverde aurait dû protéger Quintana


Deuxième erreur tactique, Alejandro Valverde lance une attaque à 8.2 km de l’arrivée. Une saillie pour jauger les jambes des adversaires de Quintana mais qui ne prend pas et qui fatigue inutilement l’Espagnol. Une offensive qui a en revanche raison du dernier équipier de Contador, Rafal Majka.

A 6.7 km, ils ne sont plus que trois. Porte emmène Froome (jaune) et Quintana (blanc) - Crédit : Team Sky
Dans la foulée, les Sky qui ne sont plus que trois (Thomas, Porte, Froome), continuent de cadenasser la course. La violence du rythme fait plier un Contador, marqué par sa victoire au Giro : « Je ne suis pas en très grande forme, je ressens la fatigue. Je ne respirais pas bien, les jambes ne tournaient pas bien. »

Entre 6.7 et 6.4 km de l’arrivée, Richie Porte va ensuite lancer le sprint de son leader (car c’est bien cela qui s’est passé). Trois cents mètres auxquels seuls trois hommes survivent : Porte lui-même, Froome et Quintana, abandonné par un Valverde cuit. Après quoi, le Britannique attaque, en danseuse cette fois. Mais malgré la violence de l’attaque, avec des jambes de feu et emmené par ses équipiers, Froome ne prend qu’une minute en six kilomètres à un Colombien terriblement seul.

Le classement de la 10e étape
Crédit : France TV (via Le Gruppetto)

Après avoir reconnu la supériorité de Froome, Quintana a tout de même glissé : « Dans les dernières étapes, on voit à un moment ou à un autre l’effet de la fatigue. (Froome) est humain et vulnérable comme tout le monde. On attendra le moindre signe de faiblesse pour en profiter. » Une brèche dans laquelle s’est engouffré Contador : « Avec tout ce qu’il reste, la course n’est pas gagnée pour lui. »

Les efforts consentis par les Sky furent énormes ce mardi. Froome a laissé beaucoup d’énergie parce qu’il avait les jambes, parce qu’il a senti le coup. Mais avant de douter, il sera intéressant de voir ce qu’il va réaliser dans les jours qui viennent. Sera-t-il marqué ? Ou sera-t-il à nouveau implacable ? Quintana connaîtra quant à lui de meilleurs jours (son pic de forme sera sans doute pour la 3e semaine) et dirigera sûrement mieux son équipe. Reste à savoir si cela sera suffisant pour renverser la trajectoire téléologique de Froome.

Classement général après les 10 premières étapes


7 commentaires:

  1. Addendum - Ne vous laissez pas embobiner par des gens qui n'y connaissent rien au vélo. Par de pseudo-journalistes qui crient au loup parce que ça fait du clic mais qui n'y connaissent absolument rien (comme en dopage d'ailleurs).

    Le tweet de Fred Grappe, directeur performance à la FDJ : "En cyclisme, on jette l'anathème avant d'avoir classifié le niveau de performance réalisé. Donc, aucune analyse valide n'est possible..."

    On n'a même pas analysé les chiffres qu'on jette déjà l’opprobre sur la performance de Froome. Quand un nageur bat un record sur 100m ou 200m et qu'il domine nettement la course, doute-t-on spontanément de sa performance ? Non. Pourquoi ? Parce que la natation n'a pas un passé CONNU avec le dopage. Leveaux a beau avoir révélé les sombres secrets de son sport, personne n'en tient compte. Donc il faut de l'équité dans le jugement. Présomption d'innocence.

    Froome a monté la côte plus vite que personne ne l'avait fait jusqu'ici. Mais deux formations avaient-elles fait un tel ménage par le passé dans le peloton en se relayant dans l'effort sur cette côte ? (la Movistar puis la Sky)

    L'attaque de Froome est impressionnante, mais il est en grande confiance (victoire au Dauphiné), il est en très grande forme (sa première semaine sur le Tour), il a l'équipe avec le plus gros budget donc avec les meilleurs équipiers (regarde Thomas, Poels ou Porte, bien sûr) et il a un adversaire qui s'est trompé complètement de tactique (Quintana a voulu faire éclater la meilleure équipe du peloton, quelle arrogance !).

    Malgré tout cela, Froome ne prend "qu'une" minute. Franchement, c'est beaucoup mais ce n'est pas non plus pharaonique.

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  2. Bonjour M.Richard,

    on parle beaucoup des cyclistes mais jamais de la technique. N'y a t-il pas aussi des avancées techniques en terme de bicyclettes (plus légères, aérodynamiques,...) qui permettent d'expliquer qu'un record soit battu? La sky, équipe "riche" n'a t-elle pas de meilleurs vélos que des équipes moins bien dotées ? Ou bien a t-on atteint un palier, et les vélos n'évoluent plus depuis une dizaine d'année?

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    1. Votre question est particulièrement pertinente. Hier, je lisais un éditorial qui défendant le droit à la paix pour les fans de vélo disait ceci en substance : "Demandez plutôt à certains coureurs français au matériel défaillant, qui voient sur un même secteur chronométré une puissance développée identique à leurs concurrents, pour leur débourser une minute voire plus."
      https://diablogdesourd.wordpress.com/2015/07/15/froome-le-festin-des-miserables/

      Les Français ne sont pas forcément moins bons mais moins riches, moins bien équipés en matériel et moins bien entourés (en termes d'équipiers).

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    2. Merci pour votre réponse. Oui il me semble que l'on en parle peu: en formule 1, la technique est mise en avant (pneus pluie, contenance du réservoire,...) et en cyclisme jamais. Pourtant, avec un vélo 1% meilleur, avec la même stratégie et la même énergie dépensée, sur une épreuve de 100km, celui qui a le meilleur vélo aura 1km d'avance à l'arrivée

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    3. C'est exactement ce que décrivait l'article que je vous indiquais. Parfois, deux coureurs déploient la même puissance mais à l'arrivée, se retrouvent avec une minute d'écart. Il est tout à fait possible d'envisager également cela pour le team Sky avec la qualité de ses vélos.

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  3. Intéressante analyse que de la tactique. Eh oui le vélo est un sport d'équipe, qu'on le veuille ou non... et même au plus bas niveau dans lequel je cours.

    Pour avoir fait le ventoux l'an dernier et pour avait fait la Pierre Saint Martin cette année (lors de la cyclosportive La Pierre Jacques en Barétous, à faire absolument par les amoureux du vélo, l'organisation est impeccable) je suis étonné (en bien) des endroits où attaque Froome.

    Le Ventoux, Froome place sa première attaque au Chalet Reynard, soit l'endroit le moins raide surtout après toute la partie en forêt. Surtout quand ses adversaires se nomment Contador ou Quintana, 2 coureurs plus petits et moins lourd que lui, surtout le deuxième.
    L'importance du poids du coureur est primordiale dans les forts pourcentages (cf : http://www.vo2cycling.fr/media/kunena/attachments/62/Proportioncomposantespuissancepente.png). Et Froome dans le Ventoux attend sagement que la pente soit moins raide pour placer son attaque (d'où la cadence de pédalage incroyable d'ailleurs).
    Dans la PSM, pareil. L'organisation avait placé un panneau avec l'indication du lieu de l'attaque. On se rend bien compte qu'à cet endroit la pente est moins raide (on est dans du 6%, alors que les pentes de la PSM tourne plutôt autour de 8-9 voire si on oublie la partie finale du col du soudet quasi plat).

    Froome attaque donc là où la composante poids lui est la moins défavorable, et c'est très intelligent de sa part face à un Quintana par exemple.

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    1. Encore une fois merci de partager votre expérience. Tout cela ne fait que confirmer mon sentiment à l'égard de Froome : son attaque était saignante, spectaculaire mais pas "inhumaine".

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