Vincenzo Nibali s'impose au sommet de la Toussuire - Crédit : Eurosport |
[ANALYSE] Le Requin
de Messine a pris sa revanche sur un Tour qui l’avait brutalement répudié, lui
le vainqueur de l’an passé. Détruit dans les Pyrénées, l’Italien a remporté l’étape-reine
de ce Tour de France 2015. Une belle consolation.
Cette année, les Alpes pansent les plaies et réconfortent
les vaincus de deux premières semaines exténuantes. Après Romain
Bardet hier jeudi, c’est au tour de Vincenzo Nibali de goûter au rachat, à
la rédemption. Il faut bien le dire, nous étions tous heureux de revoir l’Italien
et son inaltérable panache à l’attaque. A la guerre.
C’est dès le col inaugural du Chaussy que Nibali a lancé le
premier assaut. Dans la foulée d’un Contador, auteur de son seul coup d’éclat
de la journée, Nibali part à l’assaut des 26 fuyards.
Avec Contador, Nibali assiège le team Sky d'entrée
L’orgueil du champion d’Italie, encore vanté hier lorsqu’il avait
tenté à d’innombrables reprises de dynamiter la course dans le Col du Glandon. Ici,
la première frappe est suivie d’une deuxième. Aérienne. Froome se retrouve momentanément
sans équipier. Geraint Thomas a sauté lui aussi. Le team Sky est à l’agonie. Mais le peloton retrouve son calme
et se regroupe au kilomètre 30 environ.
Entre temps, de nouveaux échappés ont pris les devants,
parmi lesquels le Français Pierre Rolland. Dans l’ascension du redoutable col
hors catégorie de la Croix de Fer, à 66 kilomètres de l’arrivée, le leader
Europcar, vainqueur à la Toussuire en 2012, attaque et prend rapidement deux
minutes d’avance.
Derrière, les Astana de Nibali – ainsi que Michael Rogers
pour Contador – font exploser le groupe maillot jaune. Très vite, Froome ne
peut plus compter que sur Wouter Poels, à la limite de l’asphyxie. Le Requin de
Messine sent l’odeur du sang et décide de faire exploser le malheureux équipier
néerlandais. Un troisième abordage. Déjà. Poels perd du terrain mais s’accroche.
Et le peloton se voit réduit à sa plus simple expression : Contador,
Froome, Nibali, Valverde et Quintana.
Dernier équipier de Froome, Wouter Poels en grande difficulté - Crédit : Eurosport |
Attentistes hier sur la route de Saint-Jean-de-Maurienne,
les Movistar envoient à leur tour Alejandro Valverde, leur co-leader, au front.
On ignore encore à l’heure actuelle si cela était destiné à porter le coup de
grâce à Poels ou à jauger Froome.
Nibali profite d'une défaillance technique de Froome
A chaque fois, le groupe des cavaliers de l’Apocalypse se reforme. Froome récupère Poels. C’est alors qu’intervient le tournant de la course. A 58 km de l’arrivée,
toujours dans cette route qui s’élève vers la Croix de Fer, Chris Froome est
obligé de mettre pied à terre à cause d’un petit bout de bitume coincé dans sa roue. Par deux fois,
ce coquin de Nibali regarde derrière lui. Le voit en difficulté. Et passe
finalement à l’offensive dans la foulée.
En haut, en bleu, Nibali se retourne vers Froome, à gauche de la route. Juste avant d'attaquer. Crédit : Eurosport |
« Nibali avait
toute l’ascension pour attaquer mais il a attendu le moment où j’ai eu un
problème mécanique, enrageait le maillot jaune à l’issue de la course. Ce n’est pas l’esprit du sport. »
La polémique enflamme les réseaux sociaux. Les amoureux du boyau déterrent le
cruel saut de chaîne dont avait été victime Andy Schleck dans
la montée du Port de Balès lors du Tour 2010. Prétendant ne rien avoir vu, Alberto
Contador avait lui aussi attaqué à ce moment-là et, au bout, pris le maillot
jaune au Luxembourgeois.
Cette année encore, le code d’honneur du Tour est violé. Un coup
de Jarnac. Et quand Alexandre Vinokourov, le manager de Nibali, assure que son
coureur n’avait pas vu Froome en difficulté, on sourit. Quoi qu’il en soit, le
Sicilien creuse l’écart. Aucune autre attaque n’a vu Froome autant distancé.
Froome, obligé de s'arrêter, laisse filer Nibali. Il lui dira sa façon de penser à l'arrivée. Crédit : Eurosport |
Rejoint dans la descente du col du Mollard, Pierre Rolland fait cause commune
avec Nibali jusque dans l’ascension finale de La Toussuire. Après quelques
kilomètres, le vainqueur du Tour 2014 rompt cette alliance de circonstance et
part seul pour arracher la cinquième victoire d’étape de sa carrière sur la
Grande Boucle.
Derrière, la léthargie ensevelit les leaders. Le détachement
des Movistar contraste avec l’appétit de Nibali. On ne comprend pas :
pourquoi Nairo Quintana n’a-t-il pas attaqué alors que Froome a paru en
souffrance toute l’étape ?
Quintana, bridé par Unzue ?
Chacun semble résigné lorsque le Colombien jaillit du groupe
maillot jaune tel un démon. Pour la première fois du Tour, l’attaque de
Quintana est saignante. Un mètre. Deux mètres. L’écart grandit. Dix secondes.
Vingt. Totalement seul, Froome est incapable de suivre. Au train, il parvient
malgré tout à limiter la casse pour finir à… 32 secondes.
Mais la question demeure. Pourquoi si tard ? L’explication
est peut-être plus simple qu’il n’y paraît. L’équipe Movistar est espagnole. La
nationalité d’Alejandro Valverde, troisième au général et membre de l’équipe depuis…
onze ans. En début d’étape hier jeudi, le manager général de l’équipe, Eusebio
Unzue – qui connaît Valverde depuis… onze ans – disait en substance se réjouir
de ce double podium (Quintana, 2e et Valverde 3e). D’autant
plus que Valverde n’a justement jamais fini sur le podium du Tour. L’an passé,
il avait été battu sur le fil par Thibaut Pinot.
Maillot blanc, en bas, Quintana creuse l'écart avec Froome - Crédit : Eurosport |
Or Valverde, sémillant dans les Pyrénées, a été lâché hier
jeudi dans la montée du Col du Glandon. Il n’a dû son salut qu’à la longue
descente qui suivait. Cet après-midi encore, à part cette attaque tout sauf
tranchante dans le Col de la Croix de Fer, il n’a plus pesé sur la course. A 35
ans, l’Espagnol accuse le coup.
Je pense donc que Quintana a peut-être été bridé par Unzue. D’où son attaque
tardive, dans la montée finale. Valverde n’avait plus qu’à monter à son rythme
sans risquer de perdre trop de temps sur Nibali (4e) et Contador (5e). Le
Colombien s’en est indirectement défendu : « Le rythme des Tinkoff (via
Majka) était assez élevé [au début de l’ascension finale]. Cela aurait
été une bêtise d’attaquer avant. Je me sentais fort mais pas assez pour
dépasser Froome. »
Pourtant, sa promesse pour la dernière étape de haute montagne demain,
sa dernière chance de renverser Froome en somme, entretenait le doute : « J’essaierai
à nouveau et ce sera le tout pour le tout. Il reste une journée, la dernière
journée, où j’espère attaquer de plus loin. J’aimerais bien aussi remporter
cette étape. » Comme en 2013. Quintana avait alors remporté l’ultime acte montagneux au Semnoz mais avait fini deuxième du général. Il y a deux
ans, l’écart était de 4’20’’ sur les Champs. Cette fois, il n’est plus que de 2’38’’
une journée plus tôt. Au Colombien de nous offrir une étape légendaire pour qu’on
lui pardonne d’avoir tenté si tard. Même si c’était malgré lui.
Classement général après 19 étapes
Nibali est le nouveau quatrième du général. Les Français Romain Bardet et Pierre Rolland gagnent une place. Barguil rétrograde lui au 14e rang.
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