vendredi 24 juillet 2015

Le dernier coup de mâchoire de Nibali

Vincenzo Nibali s'impose au sommet de la Toussuire - Crédit : Eurosport
[ANALYSE] Le Requin de Messine a pris sa revanche sur un Tour qui l’avait brutalement répudié, lui le vainqueur de l’an passé. Détruit dans les Pyrénées, l’Italien a remporté l’étape-reine de ce Tour de France 2015. Une belle consolation.

Pantelant. Titubant. Le squale sicilien semblait sur le point de rendre les armes dans les Pyrénées il y a dix jours. 4’25’’ perdues lors de la fulgurance de Froome à La Pierre-Saint-Martin (10e étape). 50 secondes le lendemain dans le raidillon de Cauterets (11e) et encore 30 secondes à Mende (14e).

Cette année, les Alpes pansent les plaies et réconfortent les vaincus de deux premières semaines exténuantes. Après Romain Bardet hier jeudi, c’est au tour de Vincenzo Nibali de goûter au rachat, à la rédemption. Il faut bien le dire, nous étions tous heureux de revoir l’Italien et son inaltérable panache à l’attaque. A la guerre.

  
C’est dès le col inaugural du Chaussy que Nibali a lancé le premier assaut. Dans la foulée d’un Contador, auteur de son seul coup d’éclat de la journée, Nibali part à l’assaut des 26 fuyards.



Avec Contador, Nibali assiège le team Sky d'entrée


L’orgueil du champion d’Italie, encore vanté hier lorsqu’il avait tenté à d’innombrables reprises de dynamiter la course dans le Col du Glandon. Ici, la première frappe est suivie d’une deuxième. Aérienne. Froome se retrouve momentanément sans équipier. Geraint Thomas a sauté lui aussi. Le team Sky est à l’agonie. Mais le peloton retrouve son calme et se regroupe au kilomètre 30 environ.

Entre temps, de nouveaux échappés ont pris les devants, parmi lesquels le Français Pierre Rolland. Dans l’ascension du redoutable col hors catégorie de la Croix de Fer, à 66 kilomètres de l’arrivée, le leader Europcar, vainqueur à la Toussuire en 2012, attaque et prend rapidement deux minutes d’avance.

Derrière, les Astana de Nibali – ainsi que Michael Rogers pour Contador – font exploser le groupe maillot jaune. Très vite, Froome ne peut plus compter que sur Wouter Poels, à la limite de l’asphyxie. Le Requin de Messine sent l’odeur du sang et décide de faire exploser le malheureux équipier néerlandais. Un troisième abordage. Déjà. Poels perd du terrain mais s’accroche. Et le peloton se voit réduit à sa plus simple expression : Contador, Froome, Nibali, Valverde et Quintana.

Dernier équipier de Froome, Wouter Poels en grande difficulté - Crédit : Eurosport
Attentistes hier sur la route de Saint-Jean-de-Maurienne, les Movistar envoient à leur tour Alejandro Valverde, leur co-leader, au front. On ignore encore à l’heure actuelle si cela était destiné à porter le coup de grâce à Poels ou à jauger Froome.

Nibali profite d'une défaillance technique de Froome


A chaque fois, le groupe des cavaliers de l’Apocalypse se reforme. Froome récupère Poels. C’est alors qu’intervient le tournant de la course. A 58 km de l’arrivée, toujours dans cette route qui s’élève vers la Croix de Fer, Chris Froome est obligé de mettre pied à terre à cause d’un petit bout de bitume coincé dans sa roue. Par deux fois, ce coquin de Nibali regarde derrière lui. Le voit en difficulté. Et passe finalement à l’offensive dans la foulée.
  
En haut, en bleu, Nibali se retourne vers Froome, à gauche de la route. Juste avant d'attaquer. Crédit : Eurosport
« Nibali avait toute l’ascension pour attaquer mais il a attendu le moment où j’ai eu un problème mécanique, enrageait le maillot jaune à l’issue de la course. Ce n’est pas l’esprit du sport. » La polémique enflamme les réseaux sociaux. Les amoureux du boyau déterrent le cruel saut de chaîne dont avait été victime Andy Schleck dans la montée du Port de Balès lors du Tour 2010. Prétendant ne rien avoir vu, Alberto Contador avait lui aussi attaqué à ce moment-là et, au bout, pris le maillot jaune au Luxembourgeois.

Cette année encore, le code d’honneur du Tour est violé. Un coup de Jarnac. Et quand Alexandre Vinokourov, le manager de Nibali, assure que son coureur n’avait pas vu Froome en difficulté, on sourit. Quoi qu’il en soit, le Sicilien creuse l’écart. Aucune autre attaque n’a vu Froome autant distancé.

Froome, obligé de s'arrêter, laisse filer Nibali. Il lui dira sa façon de penser à l'arrivée. Crédit : Eurosport
Rejoint dans la descente du col du Mollard, Pierre Rolland fait cause commune avec Nibali jusque dans l’ascension finale de La Toussuire. Après quelques kilomètres, le vainqueur du Tour 2014 rompt cette alliance de circonstance et part seul pour arracher la cinquième victoire d’étape de sa carrière sur la Grande Boucle.

Derrière, la léthargie ensevelit les leaders. Le détachement des Movistar contraste avec l’appétit de Nibali. On ne comprend pas : pourquoi Nairo Quintana n’a-t-il pas attaqué alors que Froome a paru en souffrance toute l’étape ?

Quintana, bridé par Unzue ?


Chacun semble résigné lorsque le Colombien jaillit du groupe maillot jaune tel un démon. Pour la première fois du Tour, l’attaque de Quintana est saignante. Un mètre. Deux mètres. L’écart grandit. Dix secondes. Vingt. Totalement seul, Froome est incapable de suivre. Au train, il parvient malgré tout à limiter la casse pour finir à… 32 secondes.

Mais la question demeure. Pourquoi si tard ? L’explication est peut-être plus simple qu’il n’y paraît. L’équipe Movistar est espagnole. La nationalité d’Alejandro Valverde, troisième au général et membre de l’équipe depuis… onze ans. En début d’étape hier jeudi, le manager général de l’équipe, Eusebio Unzue – qui connaît Valverde depuis… onze ans – disait en substance se réjouir de ce double podium (Quintana, 2e et Valverde 3e). D’autant plus que Valverde n’a justement jamais fini sur le podium du Tour. L’an passé, il avait été battu sur le fil par Thibaut Pinot.

Maillot blanc, en bas, Quintana creuse l'écart avec Froome - Crédit : Eurosport
Or Valverde, sémillant dans les Pyrénées, a été lâché hier jeudi dans la montée du Col du Glandon. Il n’a dû son salut qu’à la longue descente qui suivait. Cet après-midi encore, à part cette attaque tout sauf tranchante dans le Col de la Croix de Fer, il n’a plus pesé sur la course. A 35 ans, l’Espagnol accuse le coup.

Je pense donc que Quintana a peut-être été bridé par Unzue. D’où son attaque tardive, dans la montée finale. Valverde n’avait plus qu’à monter à son rythme sans risquer de perdre trop de temps sur Nibali (4e) et Contador (5e). Le Colombien s’en est indirectement défendu : « Le rythme des Tinkoff (via Majka) était assez élevé [au début de l’ascension finale]. Cela aurait été une bêtise d’attaquer avant. Je me sentais fort mais pas assez pour dépasser Froome. »

Pourtant, sa promesse pour la dernière étape de haute montagne demain, sa dernière chance de renverser Froome en somme, entretenait le doute : « J’essaierai à nouveau et ce sera le tout pour le tout. Il reste une journée, la dernière journée, où j’espère attaquer de plus loin. J’aimerais bien aussi remporter cette étape. » Comme en 2013. Quintana avait alors remporté l’ultime acte montagneux au Semnoz mais avait fini deuxième du général. Il y a deux ans, l’écart était de 4’20’’ sur les Champs. Cette fois, il n’est plus que de 2’38’’ une journée plus tôt. Au Colombien de nous offrir une étape légendaire pour qu’on lui pardonne d’avoir tenté si tard. Même si c’était malgré lui.

Classement général après 19 étapes
Nibali est le nouveau quatrième du général. Les Français Romain Bardet et Pierre Rolland gagnent une place. Barguil rétrograde lui au 14e rang.

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